Dirk De Wachter : le système est toujours sous pression

L'été dernier, le psychiatre Dirk De Wachter s’est rendu en mission sur plusieurs projets médicaux en Tanzanie. Cette visite a suscité chez lui quelques réflexions sur la sécurité sociale : les bienfaits des énormes progrès technologiques, entre autres, les risques de déshumanisation et la nécessité de « bien protéger la sécurité sociale, car la solidarité n'est pas une donnée immuable ». 

Dans le cadre du 75e anniversaire de la sécurité sociale, nous avons pu aborder ces thèmes avec lui. Vous trouvez ici le texte complèt, la vidéo intégrale et une synthèse.

 

 

Comment votre visite des projets en Tanzanie vous a-t-elle amené à des réflexions sur la sécurité sociale ?

DDW : Cet été, j'étais en Tanzanie (Afrique) pour Child-Help, dans le cadre d’un gros projet en faveur des enfants atteints de spina-bifida et d'hydrocéphalie. C'est un très beau projet, et j'ai été quelque peu surpris de l'extraordinaire solidarité qui régnait là-bas. Mais ce qui m'a surtout frappé, c'est le contraste avec notre monde. En particulier dans deux domaines : d'une part, nos moyens technologiques, notamment en chirurgie et, d'autre part, la sécurité sociale dont nous bénéficions en Occident, et qui est totalement ou quasiment inexistante là-bas. Ici, nous trouvons cela parfaitement normal : vous allez à l'hôpital, vous y êtes soigné et, en général, cela ne vous coûte pas une fortune. Là-bas, ça n'existe pas.

Cela m'a amené à considérer que ce que notre culture a réalisé de plus important au cours des dernières décennies, c'est justement ce système de solidarité qui fait partie intégrante de notre monde. C'est véritablement une réalisation dont nous devons prendre le plus grand soin. Il n'est rien de plus important pour une communauté qu'un système de solidarité capable d'aider tous les êtres humains de manière égale, quels que soient leur classe sociale et leur parcours. Ma visite en Afrique l'a encore démontré davantage.

Y a-t-il un risque lié à cette technologie médicale ?

DDW : Un deuxième élément de ma visite, peut-être un peu contradictoire, c'est le fait d'avoir pensé : « avec tous les moyens technologiques dont nous disposons, nos soins de santé high-tech, nous devons veiller à ne pas perdre le côté humain, la dimension de soin classique ». C'est un peu paradoxal, mais on a parfois l'impression, lorsqu'on entre dans de grands hôpitaux, de se retrouver dans des environnements stériles, au propre comme au figuré. Utilisée à bon escient, la technologie est fantastique, mais il faut être très attentif à ne pas perdre le contact humain. En Afrique, j'ai constaté que celui-ci était naturellement très présent. Je pense qu'un soin adéquat réside à la fois dans un traitement reposant sur des technologies de pointe et dans la préservation de l’aspect humain, du relationnel, de la compassion d'une personne envers l'autre. L'écran d'ordinateur ne peut s'immiscer entre le patient et le soignant.

La sécurité sociale n'est-elle pas une constante ?

DDW : Il y a un risque que je souhaite évoquer. Parce que, bien entendu, je porte un regard critique sur la culture et j'essaie d’attirer l’attention sur les difficultés. Ce risque, c'est de se reposer sur ses lauriers et de considérer l'ensemble de notre système de sécurité sociale comme acquis. De se dire que tout est désormais réglé, pour toujours, et qu'il n'y a plus à y penser. C'est un risque inouï. Nous devons sans cesse rester vigilants, parce que le système, la solidarité vis-à-vis des plus faibles, est toujours sous pression.

Il est très important de bien garder cela à l'esprit. De rechercher en permanence les faiblesses du système, d'identifier les personnes qui risquent de rester sur la touche, d'être attentifs aux nouveaux enjeux, aux choses qui ne sont malgré tout pas aussi parfaites que nous le pensons parfois.

Le système de sécurité sociale est une structure fluide et dynamique qu'il convient de repenser en permanence avec lucidité.