L'efficacité des minima sociaux

Sur base des derniers chiffres EU-SILC, Statbel constate une reprise du revenu médian en 2021 [1], après une perte de revenu en 2020 associée à la crise COVID-19. Dans la première partie du rapport annuel de suivi du SPF Sécurité sociale (« Analyse de l'évolution de la situation sociale et de la protection sociale en Belgique (.pdf) »), nous avions déjà souligné que cette hausse du revenu médian - et donc du seuil de pauvreté qui en découle - s'accompagne d'une légère augmentation du risque de pauvreté.

Dans ce « Focus sur les Chiffres », nous nous intéressons à l'impact de l'augmentation du seuil de pauvreté sur l'efficacité des minima sociaux. Chaque année, le SPF Sécurité sociale calcule le rapport entre les prestations minimales et le seuil de pauvreté pour un certain nombre de familles hypothétiques. Ces chiffres sont, entre autres, repris dans le rapport de monitoring annuel de notre SPF ainsi que dans le baromètre de la pauvreté du SPP Intégration sociale. Les chiffres utilisés sont également disponibles sous forme de fichier Excel (.xlsx).

Dans ce cadre, il convient de garder à l'esprit un certain nombre de remarques méthodologiques, qui sont détaillées en annexe.

Amélioration de la protection du revenu minimum

Ces dernières années, les minima sociaux ont été régulièrement augmentés grâce à trois mécanismes. Tout d'abord, les minima sont automatiquement indexés sur l'évolution des prix. En 2021, le nombre d'indexations a été limité à une ; en 2022, les allocations ont été adaptées à l'inflation six fois. En 2023, il n'y a pas eu d'indexation pour la période janvier-juillet.

D'autre part, les allocations minimales sont régulièrement augmentées dans le cadre de la mise en œuvre des accords interprofessionnels sur la répartition de l'enveloppe sociale. Cela vaut d'ailleurs non seulement pour les allocations minimales, mais aussi pour le pécule de vacances des pensionnés et la prime de rattrapage pour les travailleurs en incapacité de travail. Les dernières augmentations des allocations minimales dans le cadre de l'enveloppe sociale ont eu lieu le 1er juillet 2021 et le 1er juillet 2023.

Au cours de la législature actuelle, ces mesures ont été complétées par la décision prise par le gouvernement en 2020 d'augmenter considérablement les allocations minimales d'ici à 2024. En 2021 et 2022, au 1er janvier de chaque année, le revenu d'intégration et l'allocation de remplacement de revenus pour les personnes handicapées (ARR) ont augmenté de 2,68 %, la pension minimale de 2,65 %, la garantie de revenu aux personnes âgées (GRAPA) de 2,58 % et les minima de chômage de 1,12 %. En 2023, seules la pension minimale et la GRAPA ont augmenté au même rythme qu'au cours de la période 2021-2022. L'augmentation du revenu d'intégration et de l'ARR ont été moins importantes qu'initialement anticipée et les minima du chômage n'ont pas été augmentés. Dans le même temps, le droit aux prestations minimales de maladie et d'invalidité a été étendu. Avant 2021, cette allocation ne s'appliquait qu'à partir du septième mois d'invalidité. Le 1er janvier 2021, cette période a été raccourcie de sorte que les personnes en incapacité reçoivent des prestations minimales à partir du cinquième mois d'incapacité, le 1er janvier 2022 à partir du quatrième mois et le 1er janvier 2023 à partir du troisième mois.

L'impact de ces mesures sur l'évolution nominale du revenu net d'une personne seule bénéficiant d’allocations minimales est inclus dans le fichier Excel (.xlsx) mentionné plus haut.

Impact sur l'efficacité

Les graphiques ci-dessous montrent l'impact de ces augmentations - combinées à l'augmentation du seuil de pauvreté - sur l'efficacité des minima sociaux. Les premiers graphiques montrent la situation des ménages sans enfants, qu'il s'agisse de couples (graphique 1) ou de célibataires (graphique 2), et les graphiques du dessous montrent celle des familles avec enfants, qu'il s'agisse de couples avec enfants (graphique 3) ou de familles monoparentales (graphique 4).

Au cours de la période juillet 2020-2021, les augmentations des minima se sont généralement révélées légèrement inférieures à l'augmentation du seuil de pauvreté. Les graphiques montrent donc une détérioration plutôt qu'une amélioration de l'efficacité des allocations minimales. Dans les systèmes où les minima n'ont été que légèrement augmentés (notamment en matière de chômage et d'invalidité), l'efficacité a en fait diminué de manière significative. Pour une personne seule, l'allocation de chômage minimale est passée de 85 % à 83 % du seuil de pauvreté entre juillet 2020 et juillet 2021 ; le revenu d'une personne seule bénéficiant d’allocation d'invalidité est passé de 102 % à 99 % du seuil de pauvreté. Cette tendance contraste avec l'évolution entre juillet 2019 et juillet 2020, où l'augmentation des minima sociaux s'est accompagnée d'une stabilisation du seuil de pauvreté, conduisant à une amélioration de l'efficacité d'un grand nombre de minima sociaux.

Graphiques 1-4. Prestations minimales en pourcentage du seuil de pauvreté 2018-2023

* Les estimations pour 2022 et 2023 sont basées sur l'hypothèse que l'évolution du revenu médian des ménages depuis 2021 est en ligne avec l'évolution des prix : voir l'annexe méthodologique pour plus de détails.
** L'indicateur d'efficacité pour 2019 n'est pas entièrement comparable à celui de 2018 : voir l'annexe méthodologique pour plus d'explications.

Par conséquent, comme les années précédentes, nous devons constater que la plupart des allocations minimales sont inférieures au seuil de risque de pauvreté. Cela s’applique certainement aux prestations d’assistance sociale telles que le revenu d'intégration, l'ARR et la GRAPA. Mais les allocations de sécurité sociale sont aussi parfois inférieures au seuil de risque de pauvreté. Cela est particulièrement vrai pour les couples, avec ou sans enfants. Le revenu net des couples sans emploi bénéficiant de prestations minimales atteint à peine 70 % du seuil de pauvreté, qu'ils perçoivent un revenu d'intégration, une ARR ou une allocation de chômage minimale. Ce n'est que pour les personnes seules bénéficiant d'une pension ou d'une allocation d'invalidité que les minima sont suffisamment élevés pour les faire passer au-dessus du seuil de risque de pauvreté.

La réalisation de l'ambition du gouvernement d'améliorer sensiblement l'efficacité des prestations minimales d'ici à 2024 dépend largement de l'évolution du revenu médian des ménages et du seuil de pauvreté correspondant au cours de la période 2022-2024. La dernière enquête EU-SILC ne fournit des informations que sur le revenu médian des ménages en 2021. Les graphiques montrent la tendance attendue de l'efficacité des allocations minimales en 2022 et 2023 dans l'hypothèse où (l'évolution du) revenu médian des ménages au cours de ces années suit le rythme de l'évolution des prix depuis 2021. Dans le passé, le revenu médian des ménages a eu tendance à augmenter plus rapidement que les prix ; ces estimations tendent donc à surestimer l'évolution de l'efficacité. Mais il n'est pas certain que cela soit également vrai dans les périodes de forte inflation telles que 2022 et 2023. Les estimations montrent que l'efficacité des allocations en 2024 pourrait être beaucoup plus élevée que lorsque le gouvernement actuel a pris ses fonctions en 2020, surtout si le revenu médian des ménages n'augmente pas plus vite que les prix au cours de la période 2022-2023. Cela est vrai même pour les allocations de chômage, qui ont néanmoins augmenté beaucoup moins en 2023 que ce qui était prévu à l'origine. La seule exception concerne les prestations minimales d'invalidité. En effet, dans le régime d'invalidité, plutôt que d'augmenter les prestations, le droit à ce minimum a été étendu (cf. supra) [2].

La principale conclusion que nous pouvons tirer des chiffres ci-dessus est que les ajustements des minima sociaux hors indice en période d'augmentation du revenu médian sont un outil extrêmement important pour maintenir l'efficacité des minima sociaux et pour éviter que le revenu des groupes les plus précaires ne soit inférieur au niveau général de bien-être. En l'absence de données actuelles sur les revenus des ménages, il n'est pas possible de dire avec certitude dans quelle mesure le gouvernement a réussi à améliorer l'efficacité des minima sociaux.

Annexe : notes méthodologiques

Le niveau des prestations en pourcentage du seuil de risque de pauvreté prend en compte le revenu familial net disponible des bénéficiaires des prestations, y compris le pécule de vacances, les primes de rattrapage, les allocations familiales et les prestations sociales et après les crédits d'impôt sur le revenu des personnes physiques, mais sans la prime Corona mensuelle perçue par les bénéficiaires des prestations au cours de la période juillet 2020-décembre 2021.

Le calcul des prestations familiales (uniquement pertinent pour le graphique 2) se base sur des enfants âgés de 2 et 6 ans. Pour les chiffres de 2023, il s'agit d'enfants nés respectivement en 2021 et 2017. Pour le plus jeune enfant, le nouveau système d'allocations familiales s'applique en Flandre et en Wallonie. Pour la Région de Bruxelles-Capitale, le système le plus avantageux a été retenu pour chaque enfant.

Le seuil de pauvreté pour l'année t est calculé comme étant 60% du revenu médian standardisé selon l’enquête EU-SILC pour l'année t+1. Pour 2022 et 2023, le seuil de pauvreté est estimé sur la base de l'EU-SILC 2022 (revenu 2021) et du HICP (indice harmonisé des prix à la consommation) tel que publié par Eurostat (chiffres mensuels jusqu'en juin 2023).

En raison de cette estimation, il convient d'être prudent dans l'interprétation de l'évolution depuis 2021. Au cours des années précédentes, l'utilisation du HICP a régulièrement conduit à une évaluation trop favorable de l'évolution de l'efficacité des prestations : le revenu médian et le seuil de pauvreté correspondant se sont souvent avérés avoir augmenté davantage que le HICP dans le passé, et l'écart entre les prestations nettes et le seuil de pauvreté s'est légèrement réduit par rapport aux estimations initiales.

Par ailleurs, il est important de noter que l'indicateur pour 2019 n'est pas entièrement comparable à celui de 2018 en raison de la pandémie. En effet, le dénominateur - à savoir le seuil de pauvreté 2019 - est basé sur l'enquête EU-SILC 2020. Cette enquête porte sur les revenus de 2019 mais a été réalisée pendant l’épidémie de COVID-19 en 2020, ce qui a eu un impact sur la méthode de collecte des données (Statbel : Note méthodologique EU-SILC Covid-19). Par conséquent, les résultats de l'enquête EU-SILC 2020 ne sont pas entièrement comparables à ceux de l'enquête EU-SILC 2019 (et donc l'indicateur d’efficacité de 2019 n'est pas entièrement comparable à celui de 2018).


[1] Les derniers chiffres sont basés sur l'enquête EU-SILC 2022, qui porte sur les revenus de 2021.

[2] L'adaptation de la prime de rattrapage a toutefois entraîné une augmentation limitée des prestations d'invalidité.