L'efficacité des minima sociaux en temps de crise

Introduction

Les chiffres de Statbel, l'office belge de statistique, indiquent que le risque de pauvreté monétaire n'a pas augmenté pendant la pandémie de COVID-19. Ni pour les personnes occupées, grâce à l'extension de l'assurance chômage temporaire pour les travailleurs salariés et le droit passerelle pour les indépendants, entre autres, ni pour les personnes sans travail. Parmi ces derniers, le maintien et la poursuite de la mise en œuvre des augmentations prévues des minima sociaux ont sans doute joué un rôle, bien que l'impact de ces augmentations sur le risque de pauvreté ne soit que partiel[1].

Dans ce « Focus sur les chiffes », nous examinons de plus près l'efficacité des minimas sociaux. Chaque année, le SPF Sécurité sociale calcule le rapport entre les allocations minimales et le seuil de pauvreté pour un certain nombre de familles « type ». Ces chiffres sont, entre autres, repris dans le rapport de monitoring annuel de notre SPF (« Analyse de l’évolution de la situation sociale et de la protection sociale en Belgique») ainsi que dans le baromètre de la pauvreté du SPP Intégration sociale. Les chiffres utilisés sont également disponibles sous forme de fichier excell.

Nous nous concentrons ici sur la période depuis le début de la pandémie de COVID-19, c'est-à-dire à partir de 2020. Comme point de référence, nous prenons l'année de revenus 2018 (2019 est moins approprié pour des raisons méthodologiques[2]). La période 2010-2017 a déjà été abordée dans un article publié précédemment.

Un certain nombre de considérations méthodologiques doivent être prises en compte. Elles sont abordées en annexe.

Résultats

Les graphiques ci-dessous montrent une amélioration graduelle mais continue de l'efficacité des minima sociaux pour la plupart des régimes depuis 2018. Ainsi, même pendant la crise du COVID-19, les allocations ont continué à se rapprocher du seuil de risque de pauvreté. Cela s’explique en partie par les augmentations des allocations minimales, ainsi que par la faible croissance du revenu médian et donc du seuil de risque de pauvreté en 2020.

Au cours de la période 2020-2021, un certain nombre d’allocations minimales ont été augmentées dans le cadre de la mise en œuvre des accords interprofessionnels sur la répartition de l'enveloppe sociale. Cela s'applique non seulement aux allocations de base, mais aussi à d'autres allocations destinées aux personnes bénéficiant de prestations minimales, comme le pécule de vacances pour les pensionnés et la prime de rattrapage pour les travailleurs en incapacité de travail. À cela s'ajoutent, au 1er janvier 2021 et au 1er janvier 2022, les augmentations décidées par le gouvernement dans le cadre d'une amélioration de 10,75 % des prestations minimales d'ici 2024 (pour la pension minimale de carrière complète, même jusqu'à 1 500 euros par mois). Dans chaque cas, le revenu d'intégration et l'allocation de remplacement de revenus pour les personnes handicapées (ARR) ont augmenté de 2,68 %, la pension minimale de 2,65 %, la garantie de revenus aux personnes âgées (GRAPA) de 2,58 % et les minima de chômage de 1,12 %. Dans le même temps, le droit aux prestations minimales de maladie et d'invalidité a été étendu. Avant 2021, cette prestation minimale ne s'appliquait qu'à partir du septième mois d'invalidité. Le 1er janvier 2021, cette période a été raccourcie de sorte que les personnes en incapacité de travail perçoivent des prestations minimales à partir du cinquième mois d'incapacité, le 1er janvier 2022 à partir du quatrième mois.

Outre ces augmentations hors indice, les minima sont régulièrement indexés en fonction de l'évolution des prix. En 2020 et 2021, le nombre d'ajustements a été limité à une fois par an ; au cours de la période janvier-août 2022, les allocations ont été ajustées au moins 4 fois en fonction de l'inflation.

La combinaison de toutes ces augmentations a progressivement amélioré l'efficacité des minima sociaux. Les graphiques ci-dessous montrent l'évolution des prestations minimales en pourcentage du seuil de pauvreté. Le graphique 1 montre la situation pour une personne isolée, le graphique 2 pour les familles sans enfants et le graphique 3 pour les familles avec enfants.

La pension de retraite minimale pour un travailleur isolé ayant effectué une carrière complète passe de 104 % du seuil de risque de pauvreté en juillet 2018 à 110 % en août 2022 (estimation). Cela ressort clairement du graphique 1. La GRAPA pour une personne isolée passe de 89 % à 93 % du seuil de risque de pauvreté ; le revenu d'intégration et l'ARR de 73 % à 78 %. L'augmentation des minima pour les chômeurs est un peu moins prononcée, surtout pour les personnes isolées. Dans l'assurance maladie et invalidité, l'efficacité des minima est restée presque constante, du moins en ce qui concerne le niveau des allocations. Toutefois, le droit à ce minimum a été étendu ; il s'applique à partir de 4 mois d'invalidité depuis janvier 2022.

Les revenus nets des familles avec enfants vivant des allocations minimales ont généralement augmenté moins rapidement que ceux des familles sans enfants. Ceci est illustré par les graphiques 2 et 3 ci-dessus. Les plus fortes augmentations se situent ici au niveau du chômage. Le revenu minimum pour un parent isolé au chômage avec deux enfants est passé de 83 % du seuil de pauvreté en juillet 2018 à 87 % ; pour un couple au chômage, de 66 % à 69 %.

Il convient de noter que les montants des allocations pour la période juillet 2020 - décembre 2021 ont été légèrement supérieurs à ceux indiqués dans les graphiques ci-dessus. Les graphiques ne tiennent pas compte de la prime mensuelle supplémentaire que les bénéficiaires de l'aide sociale ont reçue pendant la crise COVID-19. Cette prime était de 50 € de juillet 2020 à septembre 2021 et de 25 € d'octobre 2021 à décembre 2021.

Malgré cette amélioration notable, la plupart des allocations minimales restent insuffisamment élevées pour protéger les bénéficiaires de la pauvreté monétaire. Cela s'applique certainement aux prestations d’assistance sociale telles que le revenu d'intégration, l'ARR et la GRAPA. Mais les allocations de sécurité sociale sont aussi parfois inférieures au seuil de risque de pauvreté. Cela est particulièrement vrai pour les couples, avec ou sans enfants. Le revenu net des couples sans emploi bénéficiant de prestations minimales atteint à peine 70 % du seuil de pauvreté, qu'ils perçoivent un revenu d'intégration, une ARR ou une allocation de chômage minimale. Ce n'est que pour les personnes seules bénéficiant d'une pension ou d'une allocation d'invalidité que les minima sont suffisamment élevés pour les faire passer au-dessus du seuil de risque de pauvreté.

Comme indiqué précédemment, il y a un nombre de remarques méthodologiques à considérer sur ces chiffres ; elles sont disponibles dans l’annexe ci-dessous. Les chiffres mentionnés sont également disponible en format Excel

Annexe : notes méthodologiques

  • Le niveau des prestations en pourcentage du seuil de risque de pauvreté prend en compte le revenu familial net disponible des bénéficiaires des prestations, y compris le pécule de vacances, les primes de rattrapage, les allocations familiales et les prestations sociales et après les crédits d'impôt sur le revenu des personnes physiques, mais sans la prime corona mensuelle perçue par les bénéficiaires des prestations au cours de la période juillet 2020-décembre 2021.
  • Le calcul des prestations familiales (uniquement pertinent pour le graphique 3) suppose des enfants âgés de 2 et 6 ans. Pour les chiffres de 2022, il s'agit d'enfants nés respectivement en 2020 et 2016. Pour le plus jeune enfant, le nouveau système d'allocations familiales s'applique en Flandre et en Wallonie. Pour la Région de Bruxelles-Capitale, le système le plus avantageux a été retenu pour chaque enfant.
  • Le seuil de pauvreté pour l'année t est calculé comme étant 60% du revenu médian standardisé selon l’enquête EU-SILC pour l'année t+1. Pour 2021 et 2022, le seuil de pauvreté est estimé sur la base de l'EU-SILC 2021 (revenu 2020) et du HICP (indice harmonisé des prix à la consommation) tel que publié par Eurostat (chiffres mensuels jusqu'en juillet 2022).
  • En raison de cette estimation, il convient d'être prudent dans l'interprétation de l'évolution depuis 2020. Au cours des années précédentes, l'utilisation du HICP a régulièrement conduit à une évaluation trop favorable de l'évolution de l'efficacité des prestations : le revenu médian et le seuil de pauvreté correspondant se sont souvent avérés avoir augmenté davantage que le HICP dans le passé, et l'écart entre les prestations nettes et le seuil de pauvreté s'est légèrement réduit par rapport aux estimations initiales. Cet effet semble avoir joué très fortement pour les estimations publiées dans le Focus sur les chiffres sur l’efficacité des minimas sociaux de 2021. En raison d'une très faible inflation sur la période 2018-2021, l'évolution du revenu médian a été largement sous-estimée, ce qui a conduit à une estimation trop positive de l'évolution de l'adéquation des minima dans le Focus sur les chiffres en 2021. Nous nous attendons à ce que cet effet soit moins important dans les estimations les plus récentes, étant donné l'inflation élevée de la période 2021-2022.
 

[1] La plupart des allocations minimales sont inférieures au seuil de pauvreté ; les augmentations de ces minima ont donc un impact sur l'écart de pauvreté plutôt que sur le risque de pauvreté. Un impact sur le risque de pauvreté est principalement attendu des bénéficiaires de prestations pour lesquels le minimum social n'est pas le seul revenu familial, par exemple les bénéficiaires de l'aide sociale qui forment un ménage avec des personnes dont les moyens d'existence ne sont pas pris en compte dans le calcul de la prestation d'aide sociale (par exemple, les revenus des ascendants et des descendants ne sont pas pris en compte pour le calcul de la GRAPA ; pour le revenu d'intégration, le CPAS peut en décider à sa discrétion). En matière de sécurité sociale, l'impact le plus important devrait concerner les cohabitants et, plus particulièrement dans le secteur des pensions, les personnes ayant une carrière incomplète.

[2] En raison de la pandémie, l'indicateur pour 2019 n'est pas comparable à celui de 2018. Cela s'explique par le fait que le dénominateur - à savoir le seuil de pauvreté de 2019 - est basé sur l'EU-SILC 2020. Cette enquête porte sur les revenus de 2019 mais a été réalisée pendant l'épidémie de COVID-19 de 2020, ce qui a eu un impact sur la méthode de collecte des données (Comité d’étude sur le vieillissement, 2022). Par conséquent, les résultats d'EU-SILC 2020 ne sont pas entièrement comparables à ceux d'EU-SILC 2019 (et donc l'indicateur d'efficacité de 2019 n'est pas comparable à celui de 2018).