Statistiques internationales sur les dépenses sociales : où se situe la Belgique ?

Dépense-t-on beaucoup en Belgique pour la protection sociale ? Cette question revient régulièrement dans le débat public. La question concrète est de savoir si nous dépensons plus ou moins que les autres pays. Une telle question n’est pas facile à répondre. Tout d'abord, parce que les systèmes de protection sociale sont organisés différemment et qu'il n'est donc pas toujours facile de définir - de manière comparable - quels régimes et activités appartiennent au système de protection sociale et lesquels n'en font pas partie. En outre, différents systèmes statistiques internationaux existent pour comparer les niveaux des dépenses entre pays, ce qui prête parfois à confusion.

L’un des seuls outils permettant une telle comparaison internationale, et développé dans cette optique, est le programme statistique SESPROS (Système Européen de Statistiques intégrées de la Protection Sociale), qui existe depuis les années 1982. D’autre part, l’OCDE a également développé sa base de données SOCX (une base de données sur les dépenses sociales).

Dans un article précédent de « Focus sur les chiffres », les nouveaux chiffres selon les définitions SESPROS pour 2018 sur les recettes et les dépenses de protection sociale en Belgique ont été présentés. Nous présentons ces chiffres plus en détail dans cet article. Toutefois, les chiffres qui y figurent diffèrent de ceux de SOCX, alors qu’il semblent identiques. Dans la suite, on donne une brève explication des sources internationales les plus importantes en la matière, et on essaye de conclure ce qu’elles apprennent sur le niveau des dépenses en Belgique par rapport aux autres pays.[1]

Deux systèmes

Comme indiqué, les deux systèmes internationaux les plus utilisés sont le Système Européen de Statistiques intégrées de la Protection Sociale (SESPROS)[2] d’Eurostat et la base de données sur les dépenses sociale (SOCX) de l’OCDE.

Il est important de comprendre que les deux systèmes utilisent une définition plus complète de la protection sociale que celle généralement comprise au niveau national. C’est une conséquence de la diversité des dispositifs de protection sociale dans les différents pays, mais découle également de la définition substantielle de ce que signifie la protection sociale.

Un cadre conceptuel similaire est à la base des deux systèmes:

« La protection sociale désigne toutes les interventions d’organismes publics ou privés destinées à soulager les ménages et les particuliers de la charge d’un ensemble défini de risques ou de besoins, à condition qu’il n’y ait ni contrepartie, ni arrangement individuel en cause. Par convention, la liste des risques ou besoins susceptibles de donner lieu à la protection sociale est la suivante : 1. Maladie / soins de santé, 2. Invalidité, 3. Vieillesse, 4. Survie, 5. Famille / enfants, 6. Chômage, 7. Logement et 8. Exclusion sociale non classée ailleurs » (SESPROS-Eurostat)

“La fourniture, par des institutions publiques et privées, de prestations et de contributions financières sociales destinées aux ménages et aux particuliers afin de leur apporter un soutien dans des circonstances qui nuisent à leur bien-être, à condition que la fourniture de ces prestations et contributions financières ne constitue ni un paiement direct pour un bien ou un service particulier, ni un contrat individuel ou un transfert.” (SOCX- OCDE)

Il existe des similitudes et des différences importantes entre les deux systèmes.[3] En ce qui concerne la fourniture des données, il existe une forte coopération entre les deux institutions. Pour les États membres de l’UE[4], les données de base sont, pour la plupart, identiques: les données transmises par les États membres de l’UE dans le cadre de SESPROS, sont transmises à l’OCDE après validation. Pour les autre membres de l’OCDE, l’OCDE dispose de sa propre collecte de données. Les deux systèmes comprennent des prestations en espèces (‘in-cash’) et en nature (‘in-kind’). Dans le cadre de SOCX, l’OCDE procède toutefois à un certain nombre d’ajustements importants.

L’ajustement le plus important est que l’OCDE remplace un certaine nombre de “fonctions” de la classification SESPROS par des données provenant de ses propres bases de données, qui ont un objectif différent, bien qu’elles partent potentiellement des mêmes données de base.

Il est également important de signaler que l'OCDE distingue trois catégories de dépenses : les dépenses sociales publiques, les dépenses privées obligatoires et les dépenses privées volontaires. Ces trois catégories font l'objet de rapports séparés ; SOCX ne présente pas de "dépenses sociales totales".

Il y a également quelques différences dans le champ d'application, par exemple, contrairement à SESPROS, SOCX inclut également "l'éducation et la protection de la petite enfance" SOCX contient également une catégorie "politiques actives du marché du travail" qui comprend certaines dépenses qui sont également présentes dans SESPROS, mais aussi des dépenses qui ne sont pas présentes dans SESPROS.

Pour la politique de santé, l'OCDE utilise les données du système de comptes de la santé (SHA). En outre, SOCX n'inclut pas les frais administratifs liés à la gestion des services de protection sociale par les institutions compétentes ; SESPROS les prend en compte. Parce que l'objet de cette note est de comparer les deux systèmes, les coûts administratifs ne sont pas inclus dans les chiffres présentés ici.

À leur base, les deux systèmes se concentrent principalement sur les dépenses sociales brutes, mais comprennent également des estimations des dépenses nettes, c'est-à-dire après impôts et cotisations de sécurité sociale sur les prestations sociales. Toutefois, cet exercice est encore en cours de développement en ce qui concerne SESPROS.

Il est également important de savoir que SESPROS a une base juridique[5] et est donc obligatoire pour les États membres. SESPROS fait également partie du système statistique européen et constitue la base des statistiques officielles de l'UE sur les dépenses sociales. Elles font l'objet de directives très détaillées et d'une consultation permanente entre Eurostat et les États membres de l'UE. SESPROS est mis à jour chaque année. Au départ, SOCX était également mise à jour annuellement, mais depuis 2004, elle est mise à jour tous les deux ans : 2004, 2007, 2009, 2010, 2012, 2014, 2016 et 2018.

Ainsi, bien que les deux systèmes utilisent un cadre conceptuel similaire et soient globalement similaires, il existe un certain nombre de différences qui rendent les résultats pas complètement comparables. Le statut officiel est également différent.

Les données complètes les plus récents (pour l’UE) de SESPROS rapportent à 2017. [6] Pour SOCX, il s’agit des données de 2015. Pour 2016, 2017 et 2018, l’OCDE a fait une estimation, mais celle-ci ne concerne que les dépenses publiques (et donc pas les dépenses privées obligatoires et les dépenses privées volontaires). Par conséquent, il n’est pas possible de comparer les résultats des deux systèmes pour ces dernières années.

Les résultats de SESPROS

Examinons d'abord les résultats de SESPROS, tant les plus récents (2017) que ceux de 2015 (Fig. 1&2).[7] Ces derniers résultats seront comparées aux données de l'OCDE pour 2015. En plus de ces deux années, nous présentons également les données encore très incomplètes pour 2018.

Au cours de ces deux années, le niveau dans trois pays, la France, le Danemark et la Finlande, est nettement plus élevé que celui des autres États membres de l'UE, avec un niveau de dépenses supérieur à 30 % de leur PIB. La Belgique (avec 28,6 % en 2015 et 27,2 % en 2017) fait partie d'un groupe de six pays qui se situe entre ce "groupe de tête" de trois pays et la moyenne de l'UE, avec un niveau de dépenses entre environ 27,5 % et 29 %. La moyenne de l'UE est de 27,3 % en 2015 et de 26,8 % en 2017. Entre 2015 et 2017, la Belgique est passée du 6e au 10e rang du classement, bien que les différences entre les six pays restent relativement limitées.

Les résultats pour 2018 sont actuellement encore très incomplets. Seuls les résultats de 14 pays sont disponibles, dont 12 sont des États membres de l’UE. Cependant, ces premières données semblent déjà confirmer les relations entre les pays en matière de dépenses de protection sociale.

Les résultats SOCX

Afin de comparer les résultats de SOCX avec ceux basés sur SESPROS, nous ajoutons les dépenses publiques aux dépenses privées obligatoires et volontaires. L'image qui se dégage des résultats de SOCX-2015 est similaire à celle de SESPROS (fig. 4). De nouveau, la France, le Danemark et la Finlande affichent les niveaux de dépenses les plus élevés. La Belgique se classe au 6e rang (31 %), avec un niveau similaire à celui des Pays-Bas et des États-Unis. L'Italie, la Suède et l'Autriche se situent autour de 30 %. L'Allemagne se situe à un niveau légèrement inférieur (28 %). La comparaison avec la moyenne de l'OCDE est plus difficile ici, car cette moyenne a été tirée vers le bas par la baisse des dépenses dans de nombreux pays. Dans les deux exercices, cependant, on peut observer que la Belgique dépense plus que la moyenne en matière de protection sociale, bien qu'elle ne soit pas une exception dans la perspective de l'UE.

Lorsqu’on considère les dépenses publiques et les dépenses privées volontaires et obligatoires au sein de SOCX séparément, on peut observer des différences significatives dans le classement des pays, en fonction de la catégorie spécifique (voir annexe). Par exemple, la différence de position des Pays-Bas est remarquable. Dans les dépenses sociales publiques, ils ne sont qu'au 24ème rang, à un niveau bien inférieur à la moyenne de l'OCDE, tandis que dans les dépenses privées volontaires, ils ont le niveau le plus élevé. Cela est principalement dû aux différences de classification résultant de la privatisation du régime d'assurance maladie il y a quelques années aux Pays-Bas, et de la manière dont elles sont traitées différemment au sein de SESPROS et de SOCX. Cet exemple montre que les comparaisons ne sont généralement significatives qu’à un niveau agrégé, car c'est seulement à ce niveau que les différences organisationnelles de la protection sociale entre les pays sont largement atténuées.

Dépenses sociales nettes

SOCX et SESPROS sont initialement construits sur la base d'une estimation des dépenses brutes de protection sociale. Cependant, une question politique importante et pertinente est de savoir quel est le "coût net" de la protection sociale pour les gouvernements. C'est pourquoi ils essaient d'estimer des corrections fiscales, puisque les allocations sociales peuvent faire l'objet d'impôts et de cotisations sociales, essayant ainsi de « récupérer » une partie des dépenses du gouvernement. SESPROS et SOCX produisent tous deux des séries de dépenses sociales nettes. Ces données nettes ne sont pas basées sur des données observées, mais sont estimées à l'aide de diverses méthodes. Cela rend cet exercice techniquement plus compliqué et explique que ces données peuvent être légèrement moins robustes statistiquement que les données de base (brutes). Comme le champ d'application de la fiscalité et de la parafiscalité diffère également, les résultats diffèrent également. Au sein de SESPROS, seuls les impôts directs et les cotisations de sécurité sociale sur les allocations de remplacement de revenus sont pris en compte pour l'instant, tandis qu'au sein de SOCX, les mesures fiscales sociales générales sont également prises en compte.

Dans SESPROS, l'image globale qui ressort des dépenses nettes diffère peu des dépenses brutes. Cela s'applique à la fois à 2015 et à 2017. L’observation principale est qu'en raison des impôts sur le revenu et des cotisations de sécurité sociale prélevés, la "fourchette" dans laquelle se trouvent les pays de l'UE se rétrécit quelque peu. D'autre part, ce sont les trois mêmes pays qui présentent également le niveau de dépenses le plus élevé en termes nets (Fig. 5 & 6). Le groupe des pays suivants, dont la Belgique, est également largement identique. La moyenne des résultats nets de l'UE est inférieure de 2,2 pp. à celle des résultats bruts.

L'image basée sur les résultats de SOCX net diffère un petit peu de l'image de SESPROS. La France affiche toujours le plus haut niveau de dépenses, mais le Danemark et la Finlande sont en queue de peloton. La Belgique est plutôt parmi les pays ayant le niveau de dépenses (nettes) le plus élevé (3e place). Il illustre toutefois le fait qu'une partie non négligeable de la protection sociale est assurée par la fiscalité.

Dans l'ensemble, les impôts et les cotisations sociales semblent avoir un impact légèrement plus important sur le niveau des dépenses dans les pays comparables qu’en Belgique. Des explications à ce sujet doivent être recherchées tant dans le régime fiscal des dépenses sociales que dans le profil des catégories de population bénéficiant des prestations sociales.  

Remarques finales

La question si les dépenses sociales en Belgique sont trop élevées, se pose régulièrement. Cette question est d’autant plus pertinente à la lumière des mesures de soutien social à grande échelle dans le cadre de COVID 19. Bien que leur impact global reste à voir, il est déjà utile d'avoir un bon aperçu de la situation avant la crise.

Les deux systèmes internationaux de comptabilité statistique des dépenses sociales les plus utilisés, SESPROS et SOCX, sont tous deux le résultat d'un travail long et approfondi. Elles présentent de grandes similitudes et reposent largement sur les mêmes données de base, mais présentent également un certain nombre de différences qui sont en partie liées aux objectifs et au contexte à partir desquels elles ont été élaborées. Le choix de la source la plus appropriée dépendra largement de la question à laquelle on veut répondre. Cependant, il est important de garder à l'esprit que SESPROS a une base juridique et fait partie des statistiques officielles de l'UE. Ce qui est clair, cependant, c'est que les deux sources ne peuvent pas être simplement utilisées de manière interchangeable.

La diversité des systèmes de protection sociale et leur évolution continue font de l'établissement de ces statistiques un exercice complexe. Une utilisation éclairée est recommandée. Il convient également, comme pour d'autres systèmes comptables internationaux, de ne pas accorder trop de poids aux différences mineures entre les pays.

Étant donné la nature officielle de SESPROS et ses données plus récentes, il est en principe plus approprié d'utiliser cette source pour situer le niveau global des dépenses belges. Toutefois, malgré les différences, les deux sources aboutissent à une conclusion similaire concernant le niveau des dépenses belges en matière de protection sociale.

La Belgique a un niveau élevé de dépenses sociales, mais n'appartient pas au groupe des pays où les dépenses sont les plus élevées. Il appartient à un groupe plus large de pays, dont les Pays-Bas et l'Allemagne, qui se situent autour de ce niveau, avec un niveau de dépenses (brut) pour des prestations sociales entre 27 et 28 % du PIB. Ce groupe de pays se situe 1 à 2 pp. au-dessus de la moyenne de l'UE. Les estimations des dépenses sociales nettes semblent indiquer que dans des pays comparables, l'impact des impôts et des cotisations sur le niveau des dépenses est légèrement plus élevé qu'en Belgique.

Notes

[1] Elle n’aborde pas les déterminants du niveau des dépenses tels que l’étendue des besoins de protection sociale et la générosité de la protection (en largeur et en hauteur).

[2] L’OIT compile également des statistiques sur les dépenses sociales. Cependant, ces données sont moins adaptées aux comparaisons au sein de l’UE.

[3] Ici, nous ne montrons que les grandes similitudes et différences. Pour une compréhension approfondie, il est important de consulter les sites web et les manuels respectifs: https://www.oecd.org/social/soc/SOCX_Manuel_2019.pdf; https://ec.europa.eu/eurostat/web/products-manuals-and-guidelines/-/KS-GQ-19-014

[4] Les pays de l’AELE et les pays en procédure d’adhésion participent également à SESPROS ; nous montrons également les résultats. Toutefois, les résultats de ces pays ne sont pas inclus dans la moyenne de l’UE.

[5] Regulation No 458/2007 of the European Parliament and of the Council of 25 April 2007 on the European system of integrated social protection statistics (ESSPROS) published in OJ L113, 30.04.2007, p.3

[6] La Belgique à récemment fourni les chiffres pour 2018 à Eurostat, cf. https://socialsecurity.belgium.be/fr/news/depenses-de-protection-sociale-16-07-2020

[7] Il s’agit des dépenses pour les prestations sociales, les frais administratifs ne sont pas inclus parce qu’il ne sont pas pris en compte dans SOCX.

 

Annexe : SOCX : dépenses sociales publiques, privées obligatoires et privées volontaires